Par Mohamed TAZI
Portrait d’un peintre marocain secret, tiré par un cinéaste-peintre. Kheyi Azmi, vieux routier de la toile, vient d’exposer. pour la première fois à Bab Lekbir des Oudayas.
Né à Azrou (en 1952), Kheyi Azmi a gardé un grand amour pour la nature, an général, et la montagne, en particulier. Il n’a pas oublié les grands « puces » qui ont abrité son enfance. Azrou est aujourd’hui encore une belle petite ville de montagnes où beaucoup de gens aiment passer leurs vacances et c’est dans ses rues que Azmi a appris à aimer les toits en tuiles rouges. Au collège, Azmi a eu comme professeur d’arts plastiques un certain Manet, qui avait un goût très prononcé pour les couleurs ocres. Un quart de siècle plus tard, son influence reste clairement visible dans l’oeuvre de Azmi. Devenu Ingénieur de bâtiments Travaux publics, celui-ci s’offre de nombreux voyages à l’étranger qui enrichiront ses connaissances et aiguiseront son goût, mais ne changeront rien à son amour pour la nature vierge qui a marqué son enfance.
Kheyi Azmi vient d’exposer pour la première fois à Rabat. Il n’a cependant rien d’un débutant. Ses toiles qu’il s’agit d’un artiste au regard aiguisé et qui possède un métier certain dans le maniement des formes et des couleurs. Ses sculptures en métal témoignent également qu’il existe chez lui un amour de la matière qu’il travaille et à laquelle il confère des formes belles et bien travaillées.
En peinture, les couleurs sont bien sûr lumières, mais comme dans le réel, la lumière n’a de relief qu’en éclairant des objets. volumineux. Ce sont les formes de ces objets qui, en accrochant la lumière, lui donnent du relief.
Dans ces tableaux figuratifs, Azmi chante la nature, ses paysages, ses vallées, ses montagnes, mais on le sent très inquiet. Les dangers de la pollution l’obsèdent. Les noms donnés à certains de ses tableaux figuratifs sont à cet égard très éloquents : « Pollution » , « Pluie acide » … Ses tableaux abstraits n’échappent que rarement à cette obsession.
Dans « cohabitation » (huile sur toile d’environ 100 x 80 cm, datant de 1990), on assiste à un chevauchement de formes géométriques (carrés et rectangles surtout) montées en perspective d’avant en arrière et de bas en haut. Au premier plan dominent des couleurs vert-bouteille et ocre surmontées de bleu et de violet qui se livrent une sorte de combat d’usure qui les empêche de monter plus haut et les bloque à la hauteur du centre de la toile, face à un front de couleurs plus claires (jaune et blanc à peine cassé) que renforce en haut de la toile des bleus sombres très puissants qui forment en quelque sorte une nuit vorace qui inexorablement avale tout ce qui lui tombe sous le manteau.
Toutefois, bien que totalement abstrait « cohabitation » fait penser à quelque quartier surpeuplé d’une médina où les habitations s’épaulent et se soutiennent pour ne pas s’écrouler sous le poids des années. L’idée y semble palpable. La superposition des formes peut être l’effet d’un angle de vue en plongée, comme lorsqu’on regarde une ville d’un hélicoptère ou d’un avion qui la survole à basse altitude.
Azmi est d’abord un peintre figuratif. A partir de 1990. il semble avoir sauté pieds et poings liés dans le domaine de l’abstrait. A considérer «cohabitation» et quelques autres tableaux abstraits, on peut dire que ce saut a été impeccable, sans bavure aucune. En fait, Azmi est sans doute un abstrait qui s’est longtemps astreint à travailler dans le figuratif. Ses sculptures en constituent une preuve éclatante mais nous y reviendrons.
Sa toile abstraite intitulée « La nuit des temps » (huile sur toile d’environ 100 x 80 cm) témoigne également de cette maîtrise des formes et des couleurs. Des croix surveillés par des cercles asymétriques donnent à l’ensemble de la construction un mouvement continu d’ondes bleues mouchetées de rouge qui vont mourir au loin, très loin, dans « La nuit des temps ». Le tond, de moins en moins clair, accentue cette fuite dans l’espace et le temps.
« Tremblement de terre » (huile sur toile d’environ 100 x 80 cm, 1992) sera quant à lui une explosion voire une implosion. Un pan de mur témoigne de ce qui fut sans doute un immeuble. Des matériaux tordus, des piliers sans toit à soutenir, un étage suspendu dans la vide, constituent autant de repères auparavant une ville ou un quartier.
Cependant il reste clair et entendu que le tremblement de terre en question n’est qu’un prétexte invoqué par le peintre pour faire exploser un « décor » inventé de toutes pièces. Des pièces abstraites, des formes et des couleurs, des taches bleues, qui fusent dans toutes les directions et qui sont si puissantes qu’elles transpercent toutes les autres couleurs qu’elles rencontrent sur leur trajet, des rouges aux blancs cassés, en passant par toute une gamme d’oranges et jaunes. L’ensemble de la construction donne l’impression d’être pris dans un tourbillon en forme de spirale, un tourbillon violent, mais qui reste harmonieux, une belle dynamique que l’on aime regarder. On pourrait ainsi décortiquer et essayer de relire, en les décryptant, la plupart des toiles exposées par Kheyi Azmi, particulièrement ses tableaux abstraits tels que ceux intitulés « Pollution » ou « révérence », mais cela risque d’être un peu long, surtout si l’on veut jeter aussi un coup d’œil sur les sculptures exposées.
Trois sculptures abstraites sont en effet offertes au regard des visiteurs. Elles démontrent sans aucune difficulté d’appréciation que l’artiste Kheyi Azmi a un sens très poussé de la gestuelle et un autre tout aussi profond de la gestion rationnelle et belle de l’espace. « La détente » est une sorte de cactus en aluminium qui donne envie de le caresser, un cactus qui a su rentrer ses épines pour pouvoir entrer dans quelque salon et y rester. « L’oiseau » serait plutôt une pièce de musée. Des barres de fer, des plaques de zinc, une boite en fer blanc, des objets en fer forgé s’imbriquent et interférent pour former un oiseau à nul autre pareil qui semble vouloir s’envoler vers quelque destination lointaine et inconnue. Serait-ce un rêve profond qui hante l’artiste comme il hante beaucoup d’êtres humains ?
La troisième sculpture « germination » ferait plutôt penser à quelque plante grasse d’un genre peu courant. Le cuivre qui lui sert de substance accentue cette particularité et ajoute à la beauté de l’oeuvre. Sa forme à la fois arrondie et toute en pointe n’est pas non plus chose courante. La composition de l’ensemble dénote un équilibre presque parfait à la fois vivace et reposant à voir.
L’art, on le sait, est toujours une conception de la vie et du monde, celle de Kheyi Azmi telle qu’elle apparaît dans ses peintures comme dans ses sculptures est celle d’un homme d’action qui cherche l’harmonie et la beauté dans le calme et la paix, d’un homme qu’inquiètent les perturbations d’où qu’elles viennent.
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