Jamais peintre au Maroc n’est allé si loin dans la rupture par rapport à son propre style que ce que nous propose dans cette exposition magistrale Aziz Sayed. Il a toujours peint la même oeuvre avec toutes sortes de variantes et de facettes autour d’un même thème : le corps masculin. Celui-ci , dans pratiquement l’essentiel de ce qu’il a produit, est sans cesse affirmé et focalisé, mais sans cesse aussi, nié ou dissimulé (en partie), au moyen de gestes insistants et denses, amples et vertigineux, illustrant des éléments fragmentaires de tissus emblématiques, comme arrachés à des
époques d’un temps immémorial ! Plus que la lecture d’un sens moral (toujours simulé et suspendu), il voulait sans doute par cette peinture, nous confronter à l’émotion première que suscite tout phénomène de surgissement… des êtres et des choses.

La peinture de Sayed est singulière, une peinture de l’évocation dans un sens: elle se sert de la captation du réel pour nous conduire par notre sensibilité vers le secret des origines et de ses palpitations naissantes. Il me semble que Sayed ne déroge nullement à cette conception dans cette exposition. Le thème y est cependant foncièrement différent ainsi que le sont la démarche et le geste. Au corps de l’homme, peint dans des postures fougueuses, s’est substitué celui de la femme, réduit à la dimension du portrait figé et circonscrit. D ‘emblée, celui-ci pourrait rappeler, à travers ses multiples exécutions iconographiques, un certain regard orientaliste. Mais rien ne permettrait en fait un tel rapprochement : ici, aucune atmosphère suave, aucune exaltation des sens, aucune scène lyrique ou dramatique, ni aucun autre poncif dont raffolent les amateurs d’exotisme.

Ce qui frappe plutôt dans chacun des portraits d’Aziz Sayed, c’est la forte harmonie des traits et des formes, de la lumière et de la couleur, des lignes et des volumes. Le tout, dénotant le sentiment que le sujet peint n’est qu’un prétexte privilégié pour traduire une nette volonté d’innover en plaçant l’acte de peindre au coeur même de sa vocation primordiale, autrement dit, faire aimer la vie par l’esthétique.