Le 28 novembre 1974,Trifis est né à Sidi Mokhtar étape entre Essaouira et Marrakech, dans une famille Oulad Bou Sbaâ, ces transhumants originaires du Sahara qui sont connu pour leurs tapis aux motifs nomades. Très tôt il a quitté l’école en 1985-86 à l’issue d’ études primaires parce qu’à l’époque il fallait partir à Chichaoua, à 25 kilomètre de là pour poursuivre ses études au collège. Il a du donc s’adonner d’abord au commerce avant d’ouvrir son « salon » de coiffure au milieu du souk en 1990. Il peignait par vocation mais d’une manière sporadique.
L’une de ses premières œuvres remonte à 1996 : elle lui a été inspiré par ces images d’Épinal qui portent sur les légendes dorées des saints et des prophètes que des marchands ambulants vendent dans les souks et lors des moussems : elle représente l’ascension du Prophète sur le Bouraq la nuit du destin. En Islam, le thème servant à exposer l’expérience mystique, c’est le cadre de cette ascension Nocturne :« On sait, écrit Massignon, le rôle central de cette « extase » où Mohammed crut être transporté de la Mekke, d’abord sur l’emplacement du Temple(détruit)de Jérusalem, puis, de là, jusqu’au seuil de l’inaccessible Cité Sainte, où la gloire de Dieu réside. Cette visite, en esprit, de Mohammed à Jérusalem, est mentionnée en ces termes par la passion du Hallaj :« Celui qui cherche Dieu à la lumière de la foi est comme celui qui guette le soleil à la lumière des étoiles » La « Laylat el Hajr »de Hallaj , cette « secrète hégire vers Dieu », paraissant viser la nuit de l’esprit, sous d’autres symboles : l’oiseau aux ailes coupées, le papillon qui se brûle, le cœur enivré de douleur, qui reçoit. « L’aurore que j’aime se lève la nuit, resplendissante, et n’aura pas de couchant », s’écrie Hallaj dans son « Diwan »..
Un beau jour, ayant vu à la télévision une émission sur les peintres singuliers d’Essaouira, ces artistes autodidactes issus comme lui de l’arrière pays, Trifis décide d’aller lui aussi tenter sa chance en présentant trois petits tableaux à la galerie Damgaard. C’était en 2005 juste avant que ce dernier ne se retire en retraite en bord de mer à Taghazoute. Trifis allait donc être la dernière découverte du critique d’Art Danois établi à Essaouira depuis le début des années 1980 . Et comme toutes les fois qu’il accepte les œuvres de ces artistes qui surgissent de nulle part, il ne s’est pas trompé cette fois – ci non, plus en acceptant immédiatement les œuvres que venait lui présenter dans un couffin Trifis, comme on vient vendre en ville ses poulets , ses œufs et autres produits agricoles. Il allait définitivement quitter son gagne pain de coiffeur de souk en 2008 , pour se consacrer désormais à plein temps à son art.Pensée sauvage qui ne met aucune frontière entre les composantes de l’univers qui se métamorphosent les unes en les autres aussi sûrement que la chenille devient papillon …
Cet artiste qui doutait encore de son art et qui vient ainsi rejoindre les autres artistes autodidactes de cette galerie qui s’est spécialisée dans l’ethnopeinture s’avèrera à la fois prolixe et créatif en puisant inconsciemment dans les archétypes de ses ancêtres nomades, ces transhumants Oulad Bou Sbaâ qui se sont sédentarisés dans ces étendues dénudées et moutonnières situées entre Essaouira et Marrakech. Un artiste qui allait s’inspirer de son de environnement, à la fois fauve et lumineux, à travers un imaginaire qui explore les horizons intérieurs.
Au Haut Atlas central le Boughanimi désigne le joueur de la double flûte de roseau munit de deux cornes ainsi que le flûtiste lui-même : c’est une sorte de baldaquin à capuchon vert qui se livre à des pirouettes amusantes et qu’accompagnent deux imadyazen, poètes épiques rythmant leur prosodies avec cet allun, ce tambourin à la peau tendue et aux sons aigu. Au Rif la double flûte de roseau que prolonge deux cornes d’antilopes, cette sorte de biniou, porte le nom d’ Azemmar, et accompagne le chant rifain appelé izri « (pluriel d’ izran). Et lors des fêtes villageoises du Haut Atlas Occidental, les aèdes de la montagne en compétitions poétiques se servent quant à eux des tambourins dénommés allun pour rythmer la mesure, mais surtout pour se voiler le visage au moment d’improviser un poème, comme pour se protéger contre le mauvais œil et les esprits malfaisants.
Abdelkader Mana
Laisser un commentaire :
Vous devez être connecté pour publier un commentaire. (Se connecter)